vendredi 11 mai 2012

Les sept principes de Dogen commentés par Maître Deshimaru


Butsu kojo no homon, au-delà de Bouddha est la porte du Dharma. Il ne faut pas être limité par Dieu ou Bouddha ni par les sutras, la Bible ou les préceptes. La vraie liberté existe dans notre esprit, au-delà de Dieu ou de Bouddha. Telle est la vraie religion.


Premier principe

Shu sho ichi nyo
Zazen et satori sont unité

Shu : shugyo, la pratique, zazen ; sho, satori ; ichi nyo, sont unité, non séparés.

Sho n’existe pas après shu. Le kanji shu a deux sens : apprendre, étudier et réparer, revenir à l’origine, à l’originel. Shu se rapporte au comportement, aux actions, à l’entraînement. Dans le bouddhisme Hinayana comme dans les arts martiaux, on s’exerce, on s’entraîne pour arriver à l’esprit saint.

Shu : retourner à l’origine. Le corps et l’esprit retrouvent leur condition normale. Le kanji sho, satori, a beaucoup de sens. Le professeur Suzuki le traduit par illumination, mais le vrai sens est s’éveiller, remarquer, prendre conscience, comprendre la vérité. Lorsque l’esprit est clair, sho devient alors une certification. Sho, le satori, peut jaillir à partir de pensées mauvaises ou bonnes. Je répète toujours que, durant zazen, il faut aller de pensée en non-pensée, de non-pensée en pensée. Telle est la conscience hishiryo.

Shu, la pratique de zazen, touche non seulement votre propre personne mais aussi les autres. Faire zazen pour les autres. Durant zazen, vous devenez unité avec vos voisins. Tel est le véritable bouddhisme Mahayana. Zazen lui-même est Bouddha. Shu sho ichi nyo. Les kanji sont souvent difficiles à traduire. Par exemple, le kanji dojo est souvent traduit par église, c’est erroné. Il vaut mieux garder dojo mais les idiots réclament toujours des traductions. Shu sho ichi nyo. Shu et sho sont unité. Sho existe durant shu.

Deuxième principe
Sho butsu ichi nyo
Sho, tous les êtres vivants, toutes les existences vivantes

Le kanji sho signifie vivant ; butsu : Bouddha ; ichi nyo : sont unité. Les êtres sensibles et Bouddha sont identiques, nous-mêmes et Bouddha sommes semblables.

La religion de Dogen diffère du bouddhisme et de toutes les religions, selon lesquelles Dieu et nous sommes complètement différents, séparés et en dualité.

Shin jin funi : le corps et l’esprit ne sont pas deux. Les êtres sensibles et Bouddha sont unité.

Qui fait zazen ? Bien sûr, c’est moi. Qui êtes-vous ? À la fin, il n’y a pas de noumène. Toutes les existences sont sans noumène. Elles deviennent ku. Ku, ici et maintenant, devient les phénomènes. C’est mujo, tout change sans cesse. L’on devient parfois Bouddha, parfois un ivrogne, un obsédé sexuel, un fou, un prisonnier. On est tour à tour stupide et intelligent.

Dans la philosophie et la religion européennes, le dualisme règne pour l’éternité. Dieu et le démon ne peuvent être en unité. Dans le bouddhisme, Bouddha et le démon peuvent être amis et être en unité.

Troisième principe

Shoden no buppo
Le vrai bouddhisme transmis

Shoden no shobo. Shoden, la vraie transmission ; shobo, le vrai Dharma de la vraie transmission, la transmission de shikantaza. Za, zazen. Ta, frapper, toucher. Le vrai bouddhisme est seulement zazen.

Après une grande conférence, le Bouddha Shakyamuni fit tourner une fleur entre ses doigts. Seul Mahakashyapa sourit. Le Bouddha Shakyamuni lui transmit le véritable Dharma en lui remettant son kesa.

Shoden no buppo est le monde de la vérité. On sépare toujours le monde de la vérité et celui des phénomènes.

Qu’est-ce qu’étudier la Voie, le zen ? Faire zazen, shikantaza, au-delà de la conscience personnelle. Lorsqu’on fait zazen, le corps-esprit devient le cosmos lui-même, et inversement. Tel est le véritable shoden no buppo, l’essence du zen, l’essence des religions.

Kyo, contrôler. Si on contrôle avec le corps, l’esprit et la respiration, on retrouve la condition normale et on devient unité avec le cosmos. À ce moment-là, l’esprit devient Bouddha lui-même.

Quatrième principe

Jijuyu zanmai
Le samadhi de zazen

Jijuyu veut dire accepter, recevoir par soi-même ; zanmai, le samadhi. Le samadhi est reçu par soi-même, seul. On peut seul en recueillir la joie. Les autres ne peuvent pas le comprendre. Le samadhi du zen, c’est hishiryo. C’est un point très important par rapport aux autres religions où cette notion n’existe pas. Hishiryo est le vrai samadhi, l’authentique joie. Si l’on fait zazen, à ce moment-là, on peut atteindre le vrai kaku soku.

Qu’est-ce que kaku soku ? Parfois, il est difficile de donner une traduction juste. Maître Kodo Sawaki parlait souvent de kaku soku. Kaku est très important. Kaku, l’intuition. Soku, toucher. Comprendre par le toucher, le sentir, l’être.

Je dis toujours, si vous pratiquez zazen, votre zazen lui-même est Dieu ou Bouddha. Inutile de penser : « Je dois me connecter avec le cosmos. » Durant zazen, ce lien s’établit automatiquement à travers le corps et l’esprit, même si des pensées personnelles apparaissent. En faisant zazen, vous pouvez devenir jijuyu zanmai. En vous rasant, en revêtant le kesa et le kolomo, en pratiquant zazen, vous suivez le véritable Dharma et devenez jijuyu zanmai.

Jijuyu zanmai. Abandonner l’ego, suivre l’ordre cosmique. Ainsi, la vie prend une valeur véritable. Si l’ego et le cosmos sont en harmonie, on ne tombe pas malade et le corps devient fort comme celui d’un lion ou d’un tigre. Les gens qui attrapent froid sont comme des grenouilles. Elles n’ont pas assez de force sous le nombril. Je remarque que durant zazen, chacun de vous est très malin. Vos postures se développent. Vous devenez des saints. Mais en sortant du dojo, on revient vite à la condition anormale et on tombe dans le monde des phénomènes, du social, du vulgaire. Si la direction de l’esprit est erronée, même si vous continuez zazen jusqu’à votre mort, ce n’est pas efficace.

Cinquième principe

Kyo gyo sho itto
L’enseignement, la pratique et le satori sont unité

Kyo gyo sho itto. Kyo, enseignement ; gyo, pratique ; sho (comme dans shu sho), satori, sagesse, compréhension ; itto (analogue à ichi nyo) , unité. Enseignement, pratique, satori n’existent pas séparément et ne sont qu’une seule et même chose.

Dans les religions, on retrouve presque toujours cette notion de trinité. Le christianisme s’appuie sur la Bible, le bouddhisme sur les sutras. La Bible et les sutras sont kyo. Mais l’essentiel est la pratique, gyo. La littérature, les romans sont uniquement faits pour être lus . Si on devait les réaliser, cela de viendrait démoniaque. Tandis que si on suit la Bible ou les sutras, on ne commet pas d’erreur et on peut devenir une personne sainte. Sho, le satori, apparaît.

Kyo gyo sho itto, pratique, sagesse, satori ne sont pas séparés. Il n’y a pas d’intervalle entre kyo, gyo et sho, pas de différence. Il n’y a pas de satori, sho, sans kyo gyo. Il n’y a pas de kyo, gyo, sans sho. Ils sont unité. Sans cette unité, il n’y a pas de religion. Malheureusement, les religions les séparent souvent.

Sixième principe

Butsu kojo no homon
Au-delà de Bouddha

Bien que Bouddha soit l’idéal de notre démarche dans la vie quotidienne, il ne faut pas y être trop attaché. Il faut être au-delà de Bouddha. Trop d’attachement fait qu’on le sépare de soi et ainsi devient-il un objet extérieur. Nous devons devenir Bouddha lui-même qui existe dans notre corps et notre esprit.

Dans presque toutes les religions, Dieu ou Bouddha est un objet de foi auquel les gens sont trop attachés. Une telle attitude dénote un esprit erroné. Dans la conscience et le cerveau se crée alors un dualisme entre soi et l’objet de la foi. L’unité est rompue. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas respecter Bouddha, mais il ne faut pas en dépendre. Agir avec un esprit mushotoku, sans but ni profit, est l’attitude la plus exacte.

Ici et maintenant, nous devons trouver Dieu ou Bouddha en nous-mêmes, devenir Bouddha. La statue de Bouddha, même placée dans le dojo, n’est qu’une sculpture. N’y soyez pas trop attachés. Lorsque je rentre dans le dojo et que je fais sanpai, je m’incline certes devant la statue de Bouddha, mais surtout pour vous qui êtes devenus des bouddhas vivants. Par les sanpai, une unité se crée entre tous les disciples et la force cosmique. Lorsque le disciple étale son zagu et qu’il touche celui du maître, c’est le symbole de i shin den shin de la communication parfaite, de l’unité entre maître et disciple.

Butsu kojo no homon, au-delà de Bouddha est la porte du Dharma. Il ne faut pas être limité par Dieu ou Bouddha ni par les sutras, la Bible ou les préceptes. La vraie liberté existe dans notre esprit, au-delà de Dieu ou de Bouddha. Telle est la vraie religion.

Septième principe

Shin jin ichi nyo
Corps et esprit sont unité

C’est un point très important. Le corps et l’esprit ne sont pas séparés, contrairement à ce qu’avait dit Descartes, influençant la médecine jusqu’à nos jours. Les médecins n’étudient que le corps, mais la plupart des maladies proviennent de l’esprit. Les docteurs l’ignorent et n’étudient que les organes.

La pratique de zazen est semblable à l’image du cheval de course : « Pas d’homme sur la selle, pendant la course. Sous la selle, pas de cheval. » C’est un koan. Il n’y a pas de cheval sous cette selle. Il n’y a pas non plus de cavalier. Le jockey, le cavalier comprend qu’il doit diriger le cheval avec les rênes et les pieds. Il doit aussi comprendre l’esprit du cheval. La selle, c’est zazen. hishiryo. Hi signifie au-delà. Il est semblable à ku, l’infini. Dans le zen Soto, l’ultime secret est shin jin ichi nyo. Le corps et l’esprit sont unit ichi nyo. »Le professeur Ikemi a écrit dans son livre : « Le but, la fin, la dernière station de la psychosomatique, c’est shin jin ichi nyo.