Par P. William Skudlarek
Les moines ont été des pionniers du dialogue sous la forme d’échanges entre chercheurs de différentes religions et nous pouvons être sûrs que moines et moniales continueront à jouer un rôle crucial dans cette importante forme de dialogue. Toutefois, le dialogue interreligieux monastique ne porte pas essentiellement sur la théologie mais sur la pratique spirituelle.
Les moines et moniales chrétiens et ceux qui ont inclus les pratiques et les valeurs monastiques dans leur vie spirituelle recherchent des occasions de dialogue avec des praticiens spirituels d’autres religions, je pense, pour trois raisons principales : ils espèrent qu’en apprenant d’autres manières de progresser dans la vie de l’esprit ils seront à même de grandir spirituellement en tant que chrétiens ; ils souhaitent offrir à d’autres praticiens ce qu’il ont trouvé valable dans leur propre tradition ; et ils veulent collaborer ensemble dans un effort commun pour promouvoir la pratique spirituelle pour la guérison et le salut du monde. Tout échange entre praticiens religieux qui porte sur la pratique spirituelle soulèvera inévitablement des questions qui sont plus spécifiquement théologiques puisque la pratique dépend toujours du but de la vie religieuse. Mais si ces questions théologiques ne sont pas enracinées dans la pratique et n’en dérivent pas, elles risquent de n’être guère plus qu’un intéressant exercice intellectuel. Le dialogue purement intellectuel peut même détourner de la question fondamentale qui est de promouvoir la transformation et la perfection de la personne humaine, un processus dont les Chrétiens comprennent et expriment le but comme ‘le Christ parvenu à sa pleine stature’ (cf. Eph 4,13).
A mon arrivée au Japon, voici près de six ans, j’ai donc décidé de m’impliquer dans le dialogue interreligieux au niveau de la pratique, et de le faire en cherchant un maître pour me guider dans la pratique du zazen. Je l’ai fait parce que j’espérais qu’en apprenant à pratiquer le zazen je serais en mesure de vivre mon engagement monastique chrétien plus délibérément et plus intentionnellement. Mes recherches me conduisirent au San-un Zendô à Kamakura (près de Tokyo) et je commençai à pratiquer le zazen sous la direction du Roshi Yamada Ryōun. Malheureusement son transfert à Londres pour trois ans (il travaille pour la Banque Mitsubishi de Tokyo) et mon envoi dans un autre monastère à environ deux heures de Tokyo font que maintenant nous ne pouvons nous rencontrer que rarement. Cependant je continue à pratiquer le zazen quotidiennement et, dans la mesure du possible, je participe à un sesshin (retraite Zen) dirigé par une sœur américaine de Maryknoll, Kathleen Reilly, qui a appris le zazen avec le père du Roshi Yamada, le célèbre maître Zen, le Roshi Yamada Kôun.
Sr Kathleen dirige une dizaine de sesshins par an à Shinmeikutsu, un centre Zen catholique situé dans les contreforts de la chaîne de montagnes à l’ouest de Tokyo. Le centre a été fondé par le Père Hugo M. Enomiya-Lasalle, un Jésuite allemand qui vivait au Japon, pratiquait la méditation Zen depuis plus de 50 ans et a passé les 20 dernières années de sa vie à diriger des sessions de méditation au Japon et en Europe. Il était un proche associé du Roshi Yamada Kôun, et, par coïncidence, tous deux sont morts la même année, en 1990.
La plupart des sesshins proposés à Shinmeikutsu ne durent que deux ou trois jours. Un sesshin normal dure une semaine, mais la plupart des adeptes du zazen ne peuvent pas se libérer pour une semaine entière de leur travail et autres obligations. A Shinmeikutsu les ‘mini’ sesshins et les sesshins réguliers suivent le même horaire de base quotidien. Cet horaire commence à 5h du matin et comporte 15 assises (zazen), la possibilité d’une Eucharistie, du travail manuel et une rencontre individuelle avec le Maître.
Chaque assise dure 25 minutes suivies de 5 minutes de marche méditative (kinhin). Cela représente plus de sept heures et demie de méditation par jour, sept heures et demie d’effort intense consacré simplement à prendre conscience ‘d’être’. Cela peut paraître une perte de temps ridicule. De plus, si l’on souhaite simplement perdre du temps, on peut facilement le faire dans un décor plus agréable et dans des positions plus confortables ! Pourtant j’ai trouvé l’expérience si bénéfique que je continue encore insatiablement.
Lorsque j’essaye de décrire ce que je retire de ma pratique du zazen et de ma participation à des sesshins, je me rappelle un dokusan que j’ai eu avec le Roshi Yamada il y a environ cinq ans. Il me demanda si j’avais remarqué quelque chose après avoir médité sur le Mu (rien ou la négation) pendant neuf mois. Je lui dis que j’avais conscience de quelques ‘effets secondaires’, tels qu’une meilleure capacité de concentration, une plus grande créativité, un sentiment d’être mieux stabilisé et centré. Il me dit que les effets secondaires étaient importants pour nous encourager à persévérer dans la pratique, et il ajouta que lui aussi il était conscient des effets du zazen sur son travail : sa capacité de prendre des décisions, par exemple, ou de parler sans crainte devant un auditoire nombreux.
A une autre occasion, deux ans plus tard, je demandai au Roshi si c’était bien ou non de ne pas se préoccuper de recevoir le kensho (une expérience de prise de conscience de sa vraie nature), et de se contenter simplement des bons ‘effets secondaires’ qui accompagnent la pratique du zazen. Il me dit que ma question était à la base de la différence entre les sectes Soto et Rinzai du bouddhisme. La position Soto est que, puisque nous avons tous déjà la nature de Buddha, cela n’a pas de sens de chercher ‘quelque chose de plus’. Cependant le Roshi Yamada me dit qu’à moins d’atteindre la conscience expérimentale de ce que nous sommes, et d’être alors tellement comblés de cette expérience que nous ne voulons et ne cherchons rien de plus, nous continuerons toujours à accepter la vérité que nous possédons déjà notre nature vraie (Buddha) ‘avec les yeux de la foi’. Cela ne signifie pas, ajouta-t-il que l’on doive s’efforcer d’atteindre le kensho. Nous devons plutôt continuer simplement à méditer et laisser cela venir en son temps.
Je continue donc à pratiquer le zazen, je continue à essayer de faire un sesshin plusieurs fois par an, plein de reconnaissance pour les effets secondaires qui ont été le résultat de cette pratique et dans l’espoir qu’au moment voulu, dans le lieu voulu, je pourrai prendre conscience de ma vraie nature, du vrai moi qui demeure en Dieu et en qui Dieu demeure, et qu’avec cette prise de conscience je grandirai en amour et en compassion.
P. William Skudlarek
Coordinateur du MID américain
DIMMID
Commissions pour le Dialogue Interreligieux Monastique
Pierre-François de Béthune